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L'Agilité au Japon : relever 8 défis pour adopter l'Agilité


Aerial view of Tokyo intersection at night with pedestrians crossing wide streets. Bright lights and tall buildings surround the area.

Vous savez peut-être que l'Agilité trouve ses racines dans le Lean, dont les principes ont été partiellement développés chez Toyota. Des termes tels que "Kanban" (看板, tableau), "kaizen" (改善, amélioration) et "jidoka" (自動化, automatisation) proviennent de la langue japonaise. De nombreux autres concepts Lean, comme les célèbres 3 M – Muda (無駄, travail inutile), Muri (無理, travail impossible) et Mura (斑, répartition inégale) – sont également originaires du Japon. Sans oublier le concept de ShuHaRi (守破離, étapes de maîtrise dans les arts martiaux). La liste est longue !


Si vous n’avez jamais travaillé au Japon, vous pourriez supposer que les entreprises japonaises sont les plus Agiles. J’ai eu cette conversation de nombreuses fois, et plutôt que de m’écrier haut et fort, je verse une seule, petite larme solitaire avant de continuer.


Malheureusement, il existe un écart significatif entre les entreprises japonaises et occidentales en matière d'Agilité. Bien que des premiers pas vers une transformation Agile soient réalisés, la majorité des entreprises japonaises que je connais adhèrent encore à des méthodologies très inspirées du waterfall. Dans la plupart des cas, il s'agit de waterfall classique : plans de projet avec diagrammes de Gantt, équipes fonctionnelles, prises de décisions hiérarchiques, silos, déconnexion des clients et bien d'autres aspects souvent critiqués dans les comparaisons entre mondes Agile et non-Agile.


Certes, les entreprises japonaises excellent en qualité (grâce au Lean et au kaizen !), mais elles sont souvent en retard en matière d’innovation et de centricité client. Ayant vécu et travaillé au Japon pendant plus de 12 ans, j’observe en permanence des facteurs qui empêchent les entreprises japonaises de devenir Agiles. Certains sont plus faciles à surmonter que d’autres, et bien que j’aie participé à des transformations Agile réussies, rien n’est impossible. Cependant, l’importance de ces facteurs ne doit pas être sous-estimée.



Obstacle #1 : Confusion entre résultats et productions


Les entreprises japonaises récompensent souvent les productions plutôt que les résultats. Vous avez peut-être entendu des histoires d’employés surmenés dormant (ou, dans des cas extrêmes, mourant) sur leur lieu de travail. Cela arrive parce que plus vous travaillez d’heures et plus vous semblez épuisé, plus vos chances de promotion ou de bonus augmentent. Vous pourriez passer vos journées à entrer des données manuellement dans Excel, capturer des écrans pour les insérer dans des documents Word, les imprimer et les faxer – et être applaudi pour votre dévouement. Mais si vous trouvez une solution innovante et gagnez du temps, vous risquez d’être perçu comme paresseux.


Le problème atteint son paroxysme lorsque, après avoir innové pour rationaliser un processus ou terminé votre travail plus rapidement, vous avez trois choix : rentrer chez vous à l’heure (au risque d’être étiqueté comme "paresseux"), rester au bureau en faisant semblant d’être occupé (création d’art en pixels dans Excel, par exemple) ou trouver une autre tâche pour vous occuper vraiment.


Récompenser les productions (heures travaillées, documents produits, campagnes lancées) plutôt que les résultats (résolution de problèmes clients, augmentation des revenus, amélioration des scores NPS) est une pratique nuisible profondément ancrée dans la culture d’entreprise japonaise. À mon avis, changer cette mentalité est essentiel pour réussir une transformation Agile, mais cela reste très difficile (bien que pas impossible) à accomplir.



Obstacle #2 : La culture de l'obéissance


La culture du samouraï reste très présente dans la société japonaise. Pour de nombreux employés, remettre en question les ordres de leur supérieur est impensable. La hiérarchie est omniprésente, jusque dans la langue japonaise, où les verbes changent selon la position de l’interlocuteur.


Par exemple, le verbe "donner" devient "élever" lorsqu’il s’adresse à une personne supérieure dans la hiérarchie (un parent, un professeur ou un patron), et "descendre" lorsqu’il s’adresse à une personne inférieure (un subordonné ou un jeune frère). Les gens prêtent une grande attention à l’âge et au statut des autres, et cette hiérarchie influence profondément les interactions professionnelles.


Dans ce contexte, organiser des ateliers ou des sessions de backlog grooming où les participants doivent s'exprimer librement peut s’avérer compliqué. Toutefois, avec le temps et un coaching adapté, il est possible de briser ces barrières et de promouvoir des conversations ouvertes et constructives. J’ai coaché des équipes qui, au départ, hésitaient à contredire les idées des autres, mais qui sont ensuite devenues vraiment Agiles, capables de collaborer et de proposer de nouvelles idées sans crainte.



Obstacle #3 : Le client tout-puissant


Un dicton japonais populaire affirme que "le client est dieu". Dans la religion Shinto, le monde est peuplé de divinités incarnées dans les forêts, rivières, montagnes et rochers, et prier ces divinités peut apporter des bénédictions. De la même manière, le client est vu comme une divinité, capable de bénir une entreprise par son succès.


Bien que cela se traduise par un service client exceptionnel au Japon, cela pose un problème : les entreprises hésitent à demander directement aux clients ce qu’ils veulent, par crainte de les déranger.


Ainsi, bien que les entreprises japonaises soient très orientées client, elles ne sont pas véritablement centrées sur le client. Au lieu de demander des retours ou de proposer des prototypes et des MVPs, elles tentent d’anticiper les désirs des clients, avec un succès mitigé.


Pour surmonter cet obstacle, il est essentiel de passer d’une mentalité de vénération à une approche de recherche, en engageant directement les clients pour recueillir leurs avis et concevoir des produits qui répondent réellement à leurs besoins.



Obstacle #4 : Règles, processus et protocoles


Au Japon, les règles régissent presque tous les aspects de la vie et sont perçues comme sacrées. Lorsqu’un employé rejoint une nouvelle entreprise, il est souvent submergé par un ensemble de règles et de protocoles à suivre rigoureusement. Dans les grandes entreprises, les nouveaux employés, souvent recrutés en masse en avril, peuvent passer des mois, voire des années, en formation pour apprendre ces protocoles.


Cette adhésion stricte aux règles est idéale pour produire des produits de haute qualité, comme des SUV populaires ou des appareils photo avancés, grâce à des mesures de contrôle qualité rigoureuses. Cependant, dans le contexte de l’innovation et de l’expérimentation, ces règles peuvent étouffer la pensée créative et la flexibilité. Même les petits changements nécessitent de longues discussions, des approbations multiples, et une importante documentation.


Un exemple concret : dans une équipe où je travaillais, il nous a fallu près de trois mois de réunions et de présentations pour réduire les frais de livraison de 100 yens (environ 1 dollar). Le coût en temps de travail pour discuter de ce changement dépassait largement l’impact financier de cette réduction.


Pour favoriser l'Agilité, il est crucial de réévaluer les règles existantes : conserver celles qui sont essentielles, éliminer celles qui sont inutiles, et travailler avec des départements comme les finances ou le juridique pour en adapter d'autres. Il est également important de créer un environnement de liberté pour les équipes pilotes Agile, leur permettant d’expérimenter sans être freinées par une bureaucratie excessive.



Obstacle #5 : Le statu quo


Le Japon est un fascinant mélange de modernité et de conservatisme, avec un profond respect pour les traditions et la culture ancienne. Toutefois, ce conservatisme peut devenir un obstacle lorsqu’il s’étend au milieu professionnel. Il n’est pas rare de voir des entreprises utiliser encore des fax ou des sites web datant des années 90, sous prétexte que "si ça fonctionne, pourquoi changer ?"

Cette mentalité de préservation est omniprésente : les entreprises préfèrent protéger leurs clients existants plutôt que d’innover ou d’explorer de nouveaux marchés. Toute tentative de changement est perçue comme un risque majeur, notamment par crainte d’aliéner les clients fidèles ou de recevoir des plaintes de ceux qui peinent à s’adapter.


Lors de transformations Agile, il est crucial de consacrer du temps à des exercices de persona client et de parcours utilisateur. Ces activités permettent aux équipes de passer d'une approche consistant à "protéger" les clients contre le changement à une empathie véritable pour leurs besoins et frustrations. Avec un peu de guidance, les entreprises japonaises, déjà très orientées client, peuvent devenir véritablement centrées sur le client.



Obstacle #6 : L’aversion au risque


Les entreprises japonaises sont notoirement prudentes. Alors que dans les pays occidentaux, une probabilité de succès de 50 % peut être perçue comme un pari acceptable, au Japon, une telle prise de risque est presque inenvisageable. Même avec une probabilité de succès de 70 %, d'innombrables discussions internes et alignements sont nécessaires, et l’acceptation des 30 % de risque d’échec reste rare.


En Agilité, nous encourageons les équipes à être audacieuses, à essayer de nouvelles choses et à considérer l’échec comme une opportunité d’apprentissage. Cependant, les entreprises japonaises hésitent souvent à s’engager dans des projets sans preuves solides que d'autres ont déjà réussi, et ce, à plusieurs reprises.


Surmonter cette aversion au risque nécessite de commencer par de petites expérimentations à faible enjeu. Cela permet de créer une habitude et de bâtir progressivement la confiance pour des initiatives plus ambitieuses. Garantir un environnement psychologiquement sûr est également essentiel : les équipes doivent être encouragées et récompensées pour leurs essais et apprentissages, plutôt que de rester dans leur zone de confort.



Obstacle #7 : La surcharge de présentations PowerPoint


Bien que ce problème ne soit pas exclusivement japonais, il est particulièrement marqué au Japon. De nombreuses entreprises investissent énormément de temps dans la préparation de présentations PowerPoint pour des réunions qui se résument souvent à passer en revue des diapositives sans réelle interaction.

Ces présentations regorgent souvent de détails excessifs, de texte en police 10pt, et d’innombrables graphiques. Les réunions deviennent alors des sessions de "karaoké PowerPoint" où les véritables discussions et la résolution de problèmes sont rares.


Dans mon rôle de coach, j’interdis souvent les diapositives lors des réunions d’équipe. À la place, nous utilisons des outils collaboratifs comme Miro, Jira, ou des tableaux blancs pour stocker et organiser les informations. Cela libère un temps précieux pour se concentrer sur le vrai travail : comprendre les comportements des clients, concevoir des produits, expérimenter et analyser les résultats.



Obstacle #8 : Dépendance aux prestataires


Bien que l’externalisation soit courante dans le monde entier, au Japon, elle atteint souvent un niveau extrême. De nombreuses entreprises comptent principalement sur des vendeurs externes pour des tâches spécialisées (design, développement, marketing, etc.), tandis que leurs propres équipes se concentrent sur la gestion de projet et les ventes.


Cette dépendance crée un effet cascade : il faut recueillir toutes les exigences avant de transmettre les demandes aux prestataires. De plus, les contrats standard interdisent souvent toute communication directe entre les équipes internes et les prestataires, limitant les échanges au strict minimum.


Pour intégrer l'Agilité dans un contexte d’externalisation, il est crucial de traiter les prestataires comme une extension de l’équipe, avec une communication transparente et régulière. Cela peut nécessiter une refonte des contrats existants et un changement radical des pratiques de collaboration.



En conclusion

L’adoption de l’Agilité au Japon présente de nombreux défis, mais aucun n’est insurmontable. Malgré ces obstacles, les entreprises japonaises disposent d’un immense potentiel pour innover et se démarquer sur le marché mondial. Avec une approche adaptée, ces défis peuvent être transformés en opportunités, permettant de libérer tout le potentiel de l’Agilité dans un contexte unique et enrichissant.

 
 
 
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